La continuité de l’enseignement
Notre collègue et gestionnaire de projet, Alison Huby, s’est rendue en Haïti en janvier 2020 dans un contexte assez particulier de crise. Lors de sa mission de suivi, elle a pu échanger avec nos partenaires et s’imprégner de l’ambiance. Elle nous raconte dans quelle situation vivent actuellement les haïtiens et plus particulièrement nos 3 partenaires : les sœurs salésiennes (FMA), les Mains Ouvertes et l’École Professionnelle Saint-Joseph Artisan (EPSJA). Une chose est certaine, ces centres de formations travaillent d’arrache-pied et font preuve de débrouillardise, d’innovation pour assurer au mieux une continuité pédagogique et un enseignement de qualité, et ce, malgré le degré très élevé d’instabilité qui prévaut dans tout le pays.
Un pays en situation de crise
Depuis juillet 2018, la situation socio-politique d’Haïti demeure très instable et impacte tous les aspects de la vie de ses habitants. La crise a commencé avec l’affaire PetroCaribe qui a fait grimper les prix du pétrole et ensuite le coût de la vie. Du côté politique, le dernier premier ministre officiel a dû démissionner en mars 2019 suite à la pression du peuple. À cette paralysie politique, institutionnelle et administrative s’est ajouté le fait qu’aucun budget n’ait été approuvé par la chambre des députés depuis 2018. Les prix ne cessent d’augmenter mais les salaires n’ont subi aucune indexation à la hausse.
Dans la rue, l’opposition s’est traduite par un « Peyi lok », c’est-à-dire un blocage de la grande partie de la capitale, Port-au-Prince, ainsi que des principales routes du pays :
- En février 2019 : blocage de 3 semaines, avec l’ensemble des commerces fermés, et une impossibilité de circuler, ce qui a entraîné de nombreuses pénuries de consommables tels que l’essence, le gaz et l’eau potable.
- En juin 2019 : blocage de 2 semaines, qui a abouti à la fermeture prématurée de l’ensemble des écoles du pays, qui se sont vues menacées lorsqu’elles tentaient de rester ouvertes.
- De septembre à décembre 2019 : blocage de 3 mois. Après seulement 2 semaines d’enseignement, toutes les écoles du pays ont fermé sous la menace des gangs armés actifs. Une activité minimale subsistait pour éviter les pénuries de février 2019. Certains quartiers ont cependant été touchés par des pénuries d’eau potable.
Ces blocages s’accompagnaient régulièrement de manifestations violentes, jets de pierre, échanges de tirs, kidnappings, saccages des stations d’essence et de certaines entreprises, pillages de certains commerces et destruction de certaines administrations.
Ce contexte tendu a fragilisé davantage le pays et a plongé la majeure partie de la population (qui vivait déjà dans la pauvreté) dans une situation d’extrême pauvreté et de grande insécurité alimentaire. Ce climat d’insécurité a également contribué au renforcement des gangs armés, qui ont élargi leur contrôle sur d’autres quartiers de la capitale et grandes villes du pays.
Deux mots d’ordre : la débrouillardise et l’innovation pour assurer la continuité des enseignements
Les écoles des Sœurs Salésiennes comme toutes les écoles de la Capitale ont été contraintes de fermer leurs portes lors des trois blocages du pays en 2019. L’École Hôtelière Marie Auxiliatrice est une école qui se situe à La Saline, un quartier pauvre et actuellement toujours sous le contrôle de gangs armés. En décembre 2019, une fois le blocage du pays levé, les écoles ont pu reprendre leurs activités mais l’EHMA se situant dans une zone de non-droit, les sœurs, les professeurs et les élèves étaient en danger à La Saline. En faisant preuve d’ingéniosité et de débrouillardise, la direction de l’EHMA a pu déplacer les enseignements de l’école hôtelière à Pétionville, un quartier plus sécurisé. Par ailleurs, l’activité génératrice de revenus de l’EHMA, PROSOLMA, continue de fonctionner par intermittence. Lorsque le quartier est plus calme, les employés travaillent et produisent sur place pendant 2 à 3 jours d’affilée, ce qui permet à l’entreprise de conserver une partie de son activité.
Notre deuxième partenaire, Les Mains Ouvertes, est un complexe de 4 écoles réparties sur tout le territoire haïtien. Ces écoles fournissent un enseignement de la première primaire à la 3ème secondaire (fin du troisième cycle fondamental). Les élèves qui constituent le public de ces écoles sont majoritairement issus de familles défavorisées. Les écoles des Mains Ouvertes ont dû fermer lors des différents blocages du pays en 2019. Elles ont réouvert leurs portes dès que la situation s’est rétablie. Malgré la crise faisant rage dans tout le pays et qui touche principalement les quartiers défavorisés, les écoles des Mains Ouvertes continuent de dispenser des cours de l’enseignement fondamental et de préparer un repas à midi pour tous les élèves. Pour certains élèves, ce repas constitue souvent leur unique repas de la journée.
Enfin, l’École Professionnelle Saint Joseph Artisan a été également contrainte de fermer ses portes de septembre à décembre 2019 en raison du blocage national. Face à la crise, et forte de son expertise et de ses équipements informatiques, l’EPSJA s’est montrée très innovante ; elle a développé et mis en place des programmes d’enseignement à distance à travers différentes plateformes telles que Google Classroom et WhatsApp. C’est probablement l’une des seules écoles du pays à avoir pu réaliser cette prouesse informatique, dans un pays si pauvre, technologiquement. Environ deux tiers des élèves de l’école ont pu continuer assidument leur apprentissage en ayant accès aux cours en ligne.
L’ONG ACTEC est particulièrement fière de travailler avec des partenaires qui ont une volonté sans limites et qui puisent dans leurs motivations et leurs connaissances pour assurer la continuité pédagogique et un enseignement de qualité, et ce, malgré le degré très élevé d’instabilité qui prévaut dans tout le pays.